On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments
André Gide
Rien n’est plus faux que cet axiome de Gide. La littérature est remplie de chefs-d’œuvre qui exaltent les bons sentiments. Il suffit de rappeler Sophocle et Corneille, Dante et Dickens, Péguy et Soljenitsyne. Ce chantage à l’immoralisme a prodigieusement réussi. Un terrorisme s’est installé qui déniait toute valeur à un art soucieux d’éthique, à une beauté nourrie de vertu.
Les plus sots se sont piégés comme Gide lui-même en croyant faire de la bonne littérature avec de mauvais sentiments. Ils sont tombés dans le travers qu’ils dénonçaient chez les autres : l’édification à rebours après l’édification niaise.
Des esprits plus subtils, mais qui ne distinguent que pour séparer, ont isolé l’art et prétendu qu’il se suffisait à lui-même, que tout ce qu’il touchait était métamorphosé et qu’il ne pâtissait d’aucun contact impur. Il pouvait donc exister un art associé à la faute et au mensonge. Le mal n’atteignait pas le beau quand il mettait en péril le bien et le vrai. Qu’il y ait là un sophisme, on s’en rend compte en écartant une objection préalable. Bien sûr que l’artiste travaille sur le réel et que, lui étant fidèle, il doit assumer les mauvais comme les bons sentiments.
L’artiste ne sélectionne pas, il rachète. C’est un rédempteur de la beauté perdue. Mais l’opération ne se limite pas à la forme. Elle affecte aussi le contenu. Une œuvre qui est seulement belle ne l’est pas vraiment. Il lui manque les harmoniques de la bonté et de la vérité. Réciproquement, bonté et vérité ne vont pas sans beauté. Les Grecs l’avaient compris quand il unissaient « kalos » et « agathos », le beau et le bon. Plotin affirmait l’identité du beau et du vrai. Ce n’est pas une invention de censeurs imbéciles, mais du peuple qui a porté au maximum le culte de la beauté.
Dans ses grandes époques, le christianisme a éclairé de l’intérieur cette sainte triade, osant parfois la relier aux trois personnes de l’unité divine : le Père comme bonté, le Fils comme vérité, l’Esprit comme beauté. Souhaiter une réunification sans confusion, proposer un retour à la consonance, ce n’est pas rêver une mise au pas de l’art, mais le sortir d’un isolement délétère et lui redonner la plénitude de la santé.
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